D’ici la fin de l’année 2025, la Réserve Zoologique de Calviac va augmenter sa capacité d’accueil de visons d’Europe pour créer un centre d’élevage entièrement consacré à cette espèce.
Le vison d’Europe : mammifère le plus menacé du continent
Autrefois largement répandu au sein de tout le continent, le vison d’Europe a subi une diminution de près de 90% de sa population au cours du siècle dernier. Ce déclin est multifactoriel avec des menaces essentiellement liées aux activités humaines. « À l’origine, on trouvait des visons d’Europe de l’Oural jusqu’en Bretagne, dans toute l’Europe non méditerranéenne, détaille Emmanuel Mouton, directeur de la Réserve Zoologique de Calviac. Maintenant, il n’y a que des petites poches de population. La plus saine se trouve dans le delta du Danube, à la frontière entre la Roumanie et l’Ukraine. Là, il y a une grande zone humide qui est très préservée. » Depuis 2012, l’Union Internationale pour la Conservation de la Nature (UICN) considère le vison d’Europe comme « En danger critique d’extinction » (CR) sur la liste rouge des espèces menacées. « Le déclin massif de cette espèce résulte notamment de la mécanisation de l’agriculture, devenue une sorte d’agro-industrie, et des pesticides. L’explosion des réseaux routiers et de la circulation routière, ainsi que la destruction des zones humides, en sont d’autres causes majeures. Et puis il y a eu l’introduction du vison d’Amérique qui s’est échappé volontairement ou involontairement des élevages. » Introduit en Europe pour l’élevage de sa fourrure, le vison d’Amérique s’est échappé de certains élevages. Partageant la même niche écologique que son cousin européen, il entre en concurrence avec lui et finit par le dépasser.

Le vison d’Europe a également pu être affecté par le piégeage des espèces considérées comme nuisibles, notamment en raison de sa confusion avec le putois d’Europe ou le vison d’Amérique, ainsi que par les campagnes d’empoisonnement visant les rongeurs, qui font aussi partie de son régime alimentaire. En France, la situation de l’espèce est dramatique, et on estime à moins de 250 individus la population du pays, qui est uniquement présente en Nouvelle-Aquitaine. « À l’état sauvage, la situation en France est la pire. On trouve réellement des visons d’Europe en Charente, en Charente-Maritime, au nord-ouest de la Dordogne et au nord de la Gironde, c’est une toute petite zone, un vrai mouchoir de poche. » Des programmes de réintroduction ont déjà été mis en place notamment près de la Mer Baltique, sur des îles, où la population s’est aujourd’hui stabilisée. Le vison d’Europe fait l’objet d’un Plan National d’Action (PNA), un programme mis en place par l’État pour protéger une espèce menacée et son environnement. Il fixe des objectifs précis et prévoit des actions concrètes sur plusieurs années, comme la restauration des habitats, la réduction des menaces ou le suivi scientifique des populations. Il mobilise différents acteurs, comme les chercheurs, les gestionnaires d’espaces naturels, mais aussi, dans certains cas, les parcs zoologiques, pour assurer la conservation à long terme de l’espèce concernée.
Une espèce hébergée à Calviac depuis la création du parc
La Réserve Zoologique de Calviac participe à la conservation du vison d’Europe depuis son ouverture au public en 2008. « Nous avons d’abord eu trois individus en 2008, poursuit Emmanuel Mouton. Puis en 2013, nous avons obtenu une subvention de la Fondation EDF pour étendre les capacités d’élevage à six individus. » Aujourd’hui, le parc abrite six individus dont les deux derniers sont arrivés il a quelques jours en provenance de Zoodyssée. Le parc est membre du comité pour le Programme d’Élevage Européen (EEP) de l’espèce, coordonné par le Zoo de Tallinn en Estonie. En captivité, la population de visons d’Europe s’élèvent à moins de 200 individus répartis dans une vingtaine de parcs zoologiques à travers l’Europe. En France, l’espèce est visible dans six établissements, mais elle se reproduit de manière régulière à Zoodyssée dans les Deux-Sèvres, qui abrite l’un des plus grands centres d’élevage de l’espèce en Europe.

Au-delà d’élever et de présenter ce petit carnivore au public, la Réserve Zoologique de Calviac participe également à de nombreuses actions en faveur de sa protection et de sa mise en lumière. En 2013, le parc a organisé la première fête du vison qui a permis de faire découvrir l’espèce, totalement inconnue pour la majorité du public. Entre 2018 et 2019, outre la réalisation d’un documentaire de 52 minutes centré sur l’espèce, en partie filmée à la Réserve de Calviac, l’équipe du parc a déployé 80 radeaux à empreintes dans le sud de la Dordogne et le nord du Lot afin d’estimer la présence ou l’absence du vison d’Europe, mais aussi du vison d’Amérique, pour lutter contre son expansion. Enfin, le parc a invité à trois reprises Tiit Maran, docteur en biologie et zoologiste, spécialiste et artisan de la réintroduction de l’espèce en Estonie, dans le but de dispenser des formations et des conférences sur l’espèce.
L’agrandissement du centre d’élevage de l’espèce à Calviac
Dans le cadre du Plan National d’Action du vison d’Europe, il s’avère nécessaire d’accroître les capacités d’élevage en captivité. « Le programme de reproduction est à la recherche de véritables de capacité d’élevage pour cette espèce, ajoute le directeur de la Réserve Zoologique de Calviac. C’est à la fois une espèce très menacée mais aussi une espèce très difficile à élever. Et pour un parc zoologique qui souhaite que les visiteurs voient l’animal rapidement, le vison d’Europe est le plus mauvais des candidats : il est crépusculaire, nocturne, il vit seul et sa reproduction est très très difficile. Et quand il y a reproduction, ce sont des portées de 4 à 6 petits ; et qui dit autant d’individus dit autant d’installations pour les héberger. » Lors du sevrage des jeunes, vers l’âge de deux mois seulement, il est indispensable de disposer d’infrastructures adaptées pour les accueillir de façon indépendante, soit pour continuer de les élever, soit avant de les envoyer dans d’autres parcs zoologiques ou vers une réintroduction. « La reproduction est compliquée pour plusieurs raisons. Il faut d’abord définir la période d’œstrus de la femelle, c’est technique, un peu complexe, mais nous arrivons facilement à détecter les chaleurs de la femelle. En revanche, après, une fois que la femelle est en chaleur, il faut lui proposer un mâle et dans 85% des cas, soit le mâle est trop agressif, donc on le retire assez rapidement, soit le mâle se désintéresse complètement de la femelle. Avec ces paramètres, il reste un petit 15% de mâles prêts à se reproduire. Mais certains mâles qui se désintéressent de certaines femelles peuvent s’intéresser à d’autres femelles en chaleur ! Donc plus nous avons d’individus disponibles, plus il y a de combinaisons pour former les futurs couples. C’est ainsi que l’on rencontre le plus de succès dans la reproduction, à Tallinn ou à Zoodyssée par exemple. »

La Réserve Zoologique de Calviac va ainsi créer de nouvelles structures pour agrandir son centre d’élevage conservatoire qui sera complémentaire de celui présent à Zoodyssée qui est presque saturé avec ses 60 individus. Cet agrandissement aura pour but de maximiser la reproduction de l’espèce dans l’optique de réaliser les premières réintroductions de jeunes dans la nature, prévues pour 2025. « Avec ce nouveau centre d’élevage, nous passerons de 6 individus actuellement à 20 supplémentaires, ajoute Emmanuel Mouton. Nous avons un grand enclos dans le parc avec un mâle relativement visible, et le centre d’élevage sera dans une zone technique qui sera non accessible au public. » Le mâle qui se trouve sur le parcours de visite quant à lui, restera dans son enclos et sera toujours visible par les visiteurs patients et discrets. « Au départ, les différents enclos communiquaient entre eux ainsi qu’avec le grand enclos. Mais très rapidement, on s’est aperçu que certains individus n’étaient quasiment pas visibles. Finalement, nous avons gardé le meilleur candidat, celui qui se montre le plus, qui n’a pas peur des visiteurs. Cela nous permet également de sensibiliser davantage, car les visiteurs s’intéressent encore plus au vison. » Dans les prochaines semaines, le coordinateur de l’EEP des visons d’Europe sélectionnera les différents individus qui pourront rejoindre la Réserve Zoologique de Calviac et son nouveau centre d’élevage afin de lancer rapidement la reproduction de l’espèce.
Le défi de la réintroduction de ce petit carnivore
La finalité de ce nouveau centre d’élevage, une fois la reproduction réussie, sera la réintroduction dans la nature de jeunes visons nés à la Réserve Zoologique de Calviac. Afin d’organiser au mieux la transition entre le sevrage des petits visons et leur réintroduction dans leur milieu naturel, l’équipe technique du parc a créé un prototype d’enclos d’acclimatation qui a été temporairement exposé sur le parking visiteurs. « Nous avons conçu cet enclos de réintroduction, explique Emmanuel Mouton. Il mesure 24 m², soit 6 mètres par 4 mètres, avec un sol en grillage car le vison peut creuser. L’enclos pourra potentiellement être déplacé donc nous l’avons rendu démontable et remontable. Il comporte un bassin hors sol, dans lequel le vison peut grimper, ainsi qu’une catiche. » Une fois l’âge du sevrage atteint, vers deux mois, les jeunes visons seront transférés vers le site de réintroduction situé dans la Vallée de la Charente. Ils y vivront durant quelques semaines, nourris par les équipes du programme avec des proies vivantes (poissons ou petits rongeurs), avant qu’une ouverture leur soit proposée pour découvrir la liberté totale. Ils seront également équipés d’un implant télémétrique afin de suivre leurs déplacements dès leurs premiers jours dans la nature. « Ce sont toujours les jeunes de l’année qui seront réintroduits, et c’est l’EEP qui décide quels animaux seront aptes à être réintroduits, en fonction de leurs compétences en matière de chasse et de pêche notamment. Au parc, un système de vidéosurveillance sera installé dans chaque loge pour observer l’évolution des individus sans intervention humaine. C’est un énorme travail. »

Avec une période de reproduction s’étalant de mars à juin, les premières réintroductions d’individus nés en captivité dans les parcs zoologiques européens pourraient être menées entre l’été et l’automne prochains. Le nouveau centre d’élevage de la Réserve Zoologique de Calviac et le prototype de l’enclos de réintroduction sont financés à hauteur de 80% par le Fonds vert, un dispositif gouvernemental pour accélérer la transition écologique dans les territoires. « Sans aide, nous n’aurions pas pu réaliser ce travail, nous sommes une petite structure, ajoute le directeur du parc. Cela représente une enveloppe d’environ 200 000 €. Pour nous c’est énorme, c’est un tiers de notre budget annuel ! » Grâce à un travail collectif impliquant de nombreux organismes, la réintroduction du vison d’Europe en France devient enfin envisageable. La Réserve Zoologique de Calviac espère ainsi jouer un rôle clé dans la sensibilisation du public à cette espèce et protéger les zones humides qui l’abritent.