© Nature et Zoo
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Le transfert exceptionnel de cinq faux-gavials d’Afrique de Biotropica

Au début du mois de novembre 2024, une opération d’envergure a eu lieu à Biotropica : les cinq faux-gavials d’Afrique adultes du parc ont été capturés et transférés vers d’autres parcs zoologiques européens.

Une capture organisée avec une grande partie de l’équipe du parc

Le 5 novembre dernier, l’une des femelles faux-gavials d’Afrique de Biotropica a été envoyée vers un autre parc zoologique européen. Son transfert a été suivi le jeudi 7 novembre par le départ des quatre autres adultes de la même espèce hébergés dans le parc zoologique normand. Une grande partie de l’équipe animalière de Biotropica s’est réunie ce jour-là pour capturer les quatre individus en suivant un protocole plutôt précis. « Nous commençons par nous mettre tous dans le couloir pour débriefer des consignes de sécurité, pour savoir qui va faire quoi, et comment nous allons agir, détaille Maïalen Perot, vétérinaire à Biotropica. Nous essayons de suivre le protocole dans les grandes lignes en sachant qu’avec les animaux, il y a potentiellement des choses qui ne vont pas se passer comme prévu. » Les quatre crocodiliens vaquent à leurs occupations dans le bassin qui les a hébergé pendant de nombreuses années et pour démarrer la capture, le choix se porte sur le mâle, Léon. La première étape consiste avant tout à repérer l’animal à capturer. Avec lui, rien de plus facile : un coup au bord de l’eau et Léon apparaît aussitôt. « On commence par passer une corde autour du cou de l’animal avec un nœud coulant. Il faut présenter le nœud devant le museau de l’animal, l’embêter légèrement pour qu’il avance et que sa tête vienne se prendre dans le nœud, idéalement juste sa tête, avant les membres antérieurs. »

Une fois la corde serrée, l’animal se met à tourner sur lui-même, les soigneurs se chargent de le sortir délicatement de l’eau pour une meilleure visibilité, tout en prenant soin de ne pas le blesser. « C’est un mécanisme de défense, un reflexe, explique la vétérinaire. Dans la nature, ils vont aussi tourner sur eux-mêmes pour assommer et noyer leur proie, et là il va tourner jusqu’à parfois se museler tout seul et ça peut être un avantage pour nous. Un crocodile qui se sent tracter ne va pas attaquer, c’est pour cette raison que nous gardons constamment une tension dans les cordes, pour qu’il ait plutôt envie de reculer et pas d’avancer vers nous. » Lorsque le crocodile est hors de l’eau, il ne reste plus qu’à sécuriser sa gueule à l’aide d’un simple morceau de ruban adhésif. « Les crocodiles ont une grande force pour fermer la gueule, mais très peu pour l’ouvrir, poursuit Maïalen Perot. On rajoute un nœud autour du museau pour le tenir, on met un linge sur les yeux pour limiter leur vue, ce qui les inhibe grandement, puis on vient scotcher le museau. Le plus gros risque après ça ce sont les coups de queue auxquels nous devons faire attention. » Après le mâle, il a fallu répéter l’opération pour les trois femelles qui partageaient l’espace avec Léon. Lors de chaque capture, de nouveaux rebondissements conduisent l’équipe animalière à vider progressivement le bassin pour repérer plus facilement les animaux. Après plus de trois heures de travail sans relâche, les quatre faux-gavials d’Afrique ont été capturés dans d’excellentes conditions, pesés, mesurés et enfin installés dans leurs caisses de transport faites sur-mesure, prêts à prendre la route pour une nouvelle vie.

Un départ nécessaire pour la conservation d’une espèce au bord de l’extinction

De longs préparatifs sont souvent nécessaires pour de nombreuses espèces avant un transfert de cette ampleur, mais pour les crocodiliens, la tâche est beaucoup plus simple. « Nous avons simplement arrêté de les nourrir plusieurs jours avant leur départ pour limiter le transit et éviter un phénomène de régurgitation pendant le transport, indique François Huyghe, vétérinaire et directeur de Biotropica. Ce sont surtout des enjeux logistiques très spécifiques comme la préparation de caisses de transport aux bonnes dimensions, le contrôle de la température dans le camion, la réduction du temps de trajet et la préparation des équipes à la capture. » Pour assurer le transfert des quatre faux-gavials d’Afrique jusqu’à leur nouveau lieu de vie, les professionnels du parc zoologique ont fait appel à la société Siane, spécialisée dans le transport d’animaux entre établissements zoologiques. Romain, le chauffeur en charge du transfert avait effectué un premier trajet deux jours plus tôt, le 5 novembre, pour emmener Leïla, une autre femelle de la même espèce, de Biotropica vers l’aquarium Haus des Meeres à Vienne en Autriche.

Le départ des faux-gavials d’Afrique adultes de Biotropica marque un tournant majeur dans l’histoire du parc mais également dans l’évolution du Programme d’Élevage Européen (EEP) consacré à cette espèce et dont le coordinateur n’est autre que François Huyghe, directeur de Biotropica. « Nous faisons partir la totalité de nos reproducteurs car le mâle, Léon, s’est accouplé avec toutes les femelles. C’est un mâle qui a produit, rien qu’avec ses gènes, une vingtaine de petits depuis son arrivée ici. » Aujourd’hui, la population européenne de faux-gavials d’Afrique est composée d’une quarantaine d’individus répartis dans moins de 15 zoos à travers le continent. « Cette vingtaine de petits représente la moitié de la population européenne actuelle ! C’est-à-dire qu’en moins de 10 ans, Biotropica a doublé la population captive en Europe ! C’est génial, mais ce ne serait pas responsable de vouloir continuer dans la mesure où nous n’avons pas pu établir de programme de réintroduction qui soit crédible, tempère le directeur du parc. C’est vraiment difficile de travailler sur la conservation avec l’Afrique de l’Ouest, à notre échelle nous sommes très limités pour l’instant. » Afin de garantir la pérennité de la population présente dans les parcs zoologiques européens, il a donc été décidé de former de nouvelles combinaisons entre les faux-gavials adultes du programme de reproduction et assurer ainsi un brassage génétique essentiel. « Nous avons la responsabilité de faire en sorte que, dans 20 ans, la diversité génétique de la population conserve une véritable signification, et nous devons pour cela créer de nouvelles paires avec des animaux différents. »

Le faux-gavial d’Afrique (Mecistops cataphractus), parfois appelé crocodile à museau fin, est un crocodilien originaire des cours d’eau d’Afrique de l’Ouest, possiblement de la Guinée jusqu’à la République Démocratique du Congo. Malheureusement, il est actuellement considéré « En danger critique d’extinction » (CR) sur la liste rouge de l’UICN (Union Internationale pour la Conservation de la Nature) avec une population sauvage toujours en déclin estimée entre 300 et 400 individus. L’espèce est très difficile à observer dans le milieu naturel, elle subit principalement la pollution de l’eau et la déforestation qui réduisent son habitat, contraignant souvent les femelles à abandonner leurs sites de pontes. Le faux-gavial d’Afrique, membre de la famille des crocodilidés, tire son nom de sa ressemblance physique avec le gavial du Gange, appartenant lui à la famille des gavialidés et dont il est le seul représentant. Les deux espèces partagent un museau fin et allongé adapté à leur alimentation constituée à 95% de poissons.

L’espèce ne disparaît pas de Biotropica

Les quatre faux-gavials d’Afrique de Biotropica ont donc rejoint la Ferme aux Crocodiles à Pierrelatte dans le sud de la France. « Le mâle Léon s’en va pour s’accoupler avec une femelle qui vivait auparavant au Zoo de La Palmyre dans le but de créer une nouvelle lignée intéressante, ajoute François Huyghe. Les trois femelles partiront certainement à Singapour à l’avenir où elles pourraient rencontrer un mâle. Le Zoo de Singapour fait partie de l’EAZA (Association Européenne des Zoos et Aquariums) et là-bas, ils sont très contents de savoir qu’ils peuvent recevoir trois femelles qui s’entendent bien. » À Biotropica, les faux-gavials d’Afrique sont présents depuis l’inauguration du parc en 2012. Depuis plusieurs années, le parc zoologique normand est même le seul à travers l’Europe à en obtenir de la reproduction. La première ponte arrivée à son terme a été enregistrée en 2015, le parc annonce régulièrement de nouveaux petits, atteignant une vingtaine de nouveau-nés en seulement 9 ans.

Mais malgré le départ des adultes, l’espèce reste présente à Biotropica puisque les plus jeunes individus, nés en octobre 2023, sont aujourd’hui visibles dans un aquarium au cœur de la serre tropicale. « L’histoire de cette espèce ne s’arrête pas là à Biotropica car nous gardons deux jeunes femelles nées chez nous pour qu’elles s’accouplent avec un nouveau mâle. Il y a une nouvelle lignée originaire de zoos aux États-Unis qui va être importée prochainement. Ce sont quatre nouveaux animaux qui vont être importés avant l’été prochain et un mâle viendra chez nous. » L’intégration de ces nouveaux individus dans la population captive européenne est très intéressante d’un point de vue génétique et va apporter du sang qui n’est pas encore représenté en Europe. « Nous acceptons de nous couper une jambe, mais c’est la population dans son ensemble qui va faire un bond en avant, et c’est hyper bien. On ne recule pas entièrement, on fait un pas en arrière pour en faire deux en avant dans quelques années. » Il faudra effectivement être très patient avant de voir le parc annoncer de nouvelles naissances de faux-gavials d’Afrique puisque la maturité sexuelle est atteinte entre 10 et 15 ans chez cette espèce.

Une future nouveauté d’envergure bientôt construite pour un autre crocodilien menacé

Au cours des prochaines semaines, l’équipe technique de Biotropica va démarrer de nouveaux travaux, le plus important chantier depuis l’ouverture du parc. L’espace qui abritait les faux-gavials d’Afrique dans la serre tropicale étant désormais libre, il sera prochainement démoli pour faire place à une impressionnante nouveauté. « Toute l’installation va disparaître, annonce le directeur de Biotropica. Nous allons tout casser et créer une superbe installation pour nos gavials du Gange. » L’établissement abrite en effet plusieurs gavials du Gange (Gavialis gangeticus), un autre crocodilien qui est pour sa part originaire d’Inde, du Népal et du Bangladesh. Celui-ci se trouve lui aussi « En danger critique d’extinction » (CR) sur la liste rouge de l’UICN et sa reproduction est extrêmement complexe. « Il n’y a jamais eu de petits en parc zoologique en Europe, seulement une série de petits en 2017 dont nos deux plus jeunes sont issus. Ce n’était pas en France, c’était en République Tchèque dans une collection privée qui n’a depuis jamais recommencé. » Juste à côté du futur espace qui leur sera dédié vivent trois femelles gavials du Gange adultes présentes au parc depuis quelques années. Elles pourraient être rejointes par les deux individus plus jeunes actuellement visibles dans un terrarium géant créé spécialement pour eux en 2019. « Les jeunes sont quasiment de bonne taille. Pour qu’ils grandissent davantage nous allons devoir les intégrer dans cette nouvelle installation. Nous devrions également importer un mâle adulte en provenance du Zoo de Singapour ou d’un zoo en Inde car il n’y a pas de mâles dans les zoos européens, et pour que notre population fasse sens, il nous faut évidemment des mâles et des femelles. »

La nouvelle installation, qui ne sera pas inaugurée avant l’été 2025, nécessite un important investissement pour Biotropica et ses équipes qui imaginent cette nouveauté depuis déjà plusieurs mois. « Nous espérons que l’installation sera mise en eau pour Pâques et qu’elle sera complètement peuplée en juin prochain, explique François Huyghe. Il y aura donc un gros bassin avec une vision sous-marine dans lequel on pourra voir évoluer les gavials du Gange, puis un deuxième bassin, peut-être un troisième derrière, et le tout sera couvert d’un filet jusqu’au sommet de la serre pour former une volière. Il va y avoir beaucoup d’oiseaux à l’intérieur, des poules sultanes, différentes espèces de petits hérons, des calaos ou encore des cigognes épiscopales. Ce sont des espèces que l’on voit rarement en parc zoologique mais qui ont besoin d’élevage pour être plus présentes. Il y aura également beaucoup de poissons et des tortues, un beau mélange qui va vraiment faire sens dans une thématique liée au milieu aquatique indien. Nous allons mettre toute notre énergie dessus, c’est un vrai chantier, un vrai challenge. » Avec l’arrivée d’un gavial du Gange mâle aux côtés des femelles déjà sur place, le parc envisage sérieusement de réussir à reproduire cette espèce également. Et si Biotropica, à l’image de la réussite obtenue avec les faux-gavials d’Afrique, parvenait aussi à doubler la population de gavials du Gange en parc zoologique au cours des dix prochaines années ?

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