Après une très longue attente et pour la première fois de son histoire, la Ménagerie du Jardin des Plantes de Paris vient d’accueillir des diables de Tasmanie, deux mâles, nommés Rori et Mordo.
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Le plus grand marsupial carnivore d’Australie
Fourrure noire, oreilles rouges, dents pointues, gueule immense et cri strident, le diable de Tasmanie est en réalité un animal timide et très méfiant. Il s’agit du plus grand marsupial carnivore d’Australie, pesant près de 14 kilos pour les plus gros individus. « Ils sont assez bruyants, ils communiquent beaucoup par grognements, explique Aude Bourgeois, directrice de la Ménagerie du Jardin des Plantes. On les observe sur des lieux de nourrissages, là où il y a des carcasses parce qu’ils sont charognards, et comme ils sont nocturnes, toutes ces raisons forment une sorte de mythe autour du diable de Tasmanie qui fait qu’ils ont ce nom là un peu négatif, mais au final ils sont quand même assez mignons. » À l’état sauvage, il ne vit que sur l’île de Tasmanie, un état insulaire situé au sud de l’Australie, et malgré sa protection par décret depuis 1941, sa population décline rapidement depuis 1996. « C’est une espèce menacée parce qu’à la fin des années 1990, il y a une terrible maladie qui est apparue, c’est une tumeur de la face qui se transmet par contact, poursuit la directrice du parc. C’est l’une des rares tumeurs dans le monde qui se transmet de cette manière, cela touche 7 espèces dans le règne animal dont les diables de Tasmanie. Et comme ce sont des animaux qui se mordent beaucoup, notamment quand ils se nourrissent ou en période de reproduction, et bien la tumeur s’est très vite répandue. » Aucun traitement n’est disponible et aujourd’hui, le diable de Tasmanie est classé « En danger d’extinction » (EN) sur la liste rouge de l’UICN (Union Internationale pour la Conservation de la Nature). On estime que sa population sauvage a été décimée de près de 80 % en seulement 10 ans.
Sauvegarder l’espèce grâce à la création d’une population de réserve
En 2004, une population de réserve a été créée à partir de diables en bonne santé dans des zoos d’Australie et de Tasmanie. « L’Australie a décidé de prélever des animaux dans la nature, en zone saine, pour créer une population de réserve. Il resterait entre 10 000 et 20 000 individus adultes matures sexuellement. C’est très difficile à estimer parce qu’ils sont plutôt nocturnes et c’est assez difficile de les observer. En tout cas, ce que l’on sait c’est qu’auparavant, avant cette maladie, il y en avait près de 150 000 à 200 000 individus sur la Tasmanie. » L’objectif premier était de constituer une population de secours d’au moins 500 diables de Tasmanie, grâce également aux animaux déjà présents dans les parcs zoologiques du monde entier, pour anticiper l’hypothèse d’une extinction de l’espèce à cause de la maladie. « Il y aurait aujourd’hui à peu près 700 individus dans le monde, ajoute Aude Bourgeois. Et on estime que grâce à ces animaux là, la population globale pourrait être sauvée s’ils venaient à disparaître dans la nature. » Cette population de réserve permet à l’Australie d’envoyer des diables « ambassadeurs » vers d’autres pays, en Amérique du Nord et en Europe notamment, dans le but de faire découvrir l’espèce, les mesures de sauvegarde mises en œuvre, et contribuer à leur financement.
L’arrivée de deux diables de Tasmanie à la Ménagerie du Jardin des Plantes
La Ménagerie du Jardin des Plantes a ainsi été sélectionnée par le programme de sauvegarde de l’espèce, coordonné par le gouvernement d’Australie et de Tasmanie pour présenter au public des diables de Tasmanie et sensibiliser ses visiteurs aux menaces qui pèsent sur cet animal et son milieu. C’est à 8h30 le matin du 5 juillet 2023, que Rori et Mordo, deux jeunes diables de Tasmanie, ont posé leurs valises dans la capitale. Rori, le plus jeune, est né le 2 juin 2022 au Devils Cradle, un sanctuaire de conservation unique en Tasmanie situé à l’entrée du parc national de Cradle Mountain, classé au patrimoine mondial de l’UNESCO. Ce sanctuaire unique est principalement consacré à la sauvegarde du diable de Tasmanie mais s’occupe également d’autres espèces comme le chat marsupial moucheté ou le wombat. Quant à Mordo, il est né le 23 mars 2022 au Trowunna Wildlife Sanctuary, un parc privé à la pointe de la conservation et de l’éducation dans l’État Australien actuellement impliqué dans cinq programmes de conservation d’espèces en voie de disparition. Malgré sa très longue histoire débutée à sa création en 1794, c’est la première fois que la Ménagerie du Jardin des Plantes accueille cette espèce emblématique. « Effectivement, nous allons fêter les 230 ans de la Ménagerie l’année prochaine et à notre connaissance, il n’y a jamais eu de diables de Tasmanie à la Ménagerie, donc c’est un grand moment pour le parc », se réjouit la directrice. Depuis quelques années, le parc travaille à remplacer les animaux les plus imposants par des espèces de plus petites tailles faisant l’objet de projets de conservation. C’est ainsi que la petite ferme des chèvres naines et des lapins a été entièrement réaménagée pour y accueillir le nouvel espace des diables de Tasmanie. « C’est une espèce qui est adaptée à notre site et qui est adaptée au message que nous voulons véhiculer : une petite espèce, menacée d’extinction, pour laquelle nous avons un message à faire passer. »
Un transfert en plusieurs étapes
Cela faisait trois ans que les équipes de la Ménagerie du Jardin des Plantes attendait ce moment, trois longues années au cours desquelles la situation sanitaire internationale a freiné l’arrivée de cette nouvelle espèce au parc. Initialement, le parc aurait du accueillir deux diables de Tasmanie en mars 2020, mais la fermeture des frontières et la mise en place du confinement dans de nombreux pays a empêché le transfert de se concrétiser. « Il y a le Covid qui est passé par là, et pour le coup, c’était assez terrible parce que nous devions recevoir les diables de Tasmanie en mars 2020, la semaine juste après l’arrêt des vols et du transit aérien, explique Aude Bourgeois. Il y a toute une série d’animaux qui sont arrivés en Europe en 2019 et en 2020, nous devions faire partie de ce wagon là mais nous n’avions pas pu recevoir les animaux. » Les deux nouveaux pensionnaires n’ont pas rejoint la Ménagerie du Jardin des Plantes directement en provenance de la Tasmanie, ils ont fait une escale de plusieurs jours dans un autre parc zoologique européen. « Il y a une deuxième série d’envois qui a été faite depuis la Tasmanie et l’Australie vers l’Europe afin de renouveler les individus vieillissants ou qui sont morts, poursuit la directrice de la Ménagerie. Donc il y a 21 individus qui sont arrivés à Copenhague en juin dernier où ils ont des installations assez importantes pour la reproduction des diables de Tasmanie. » La vingtaine de nouveaux diables a effectué une quarantaine sanitaire d’environ un mois au Zoo de Copenhague au Danemark avant d’être répartis dans les différents zoos européens qui devaient les accueillir. « C’était plus facile de centraliser les animaux à Copenhague pour les papiers et pour le transfert. »
Deux mâles pour commencer
Coordinateur du programme européen de reproduction de l’espèce, le Zoo de Copenhague abrite déjà un petit groupe reproducteur de l’espèce et dispose des installations requises pour l’accueil d’un aussi grand nombre d’individus simultanément. Parmi les 21 diables de Tasmanie transférés récemment arrivés en Europe, 9 sont restés au Danemark alors que les 12 autres ont été envoyés dans des zoos en Allemagne, en Belgique, en Hongrie et en France. La Ménagerie du Jardin des Plantes devient ainsi le second parc zoologique français à présenter des diables de Tasmanie au public après l’arrivée de l’espèce dans un autre parc bien connu dans le pays il y a quelques années. « Nous sommes seulement deux parcs zoologiques à avoir des diables de Tasmanie en France. Le Zoo de Beauval, qui en avait déjà reçu en 2019, a accueilli de nouveau des animaux dernièrement. » Il y a quelques jours, le ZooParc de Beauval a en effet accueilli de nouveaux individus, trois jeunes mâles originaires eux aussi d’Australie et de Tasmanie. Ces derniers seront prochainement présentés à Cape, le dernier mâle du parc âgé de bientôt 6 ans et seul depuis le décès de Cluan, son frère, l’an dernier. L’arrivée de ces nouveaux diables de Tasmanie permet de renforcer le programme de reproduction de l’espèce en Europe qui compte désormais 33 individus (16 mâles et 17 femelles) répartis dans 9 parcs zoologiques. La Ménagerie du Jardin des Plantes, en tant que nouveau membre du programme d’élevage européen, commence par présenter deux mâles et ne recevra pour le moment pas de femelle. « Comme c’est un programme qui se met en place en Europe et également aux États-Unis, le gouvernement australien souhaite d’abord que les institutions testent un petit peu leurs enclos, la manière dont on s’occupe des animaux, avant de commencer la reproduction, détaille Aude Bourgeois. Souvent, pour les premiers individus accueillis, ce sont des groupes non reproducteurs pendant quelques années et puis il est possible, au bout d’un moment, de passer sur un groupe reproducteur. » Rori et Mordo devraient donc passer toute leur vie ensemble à la Ménagerie avant que le parc ne puisse imaginer accueillir une femelle dans quelques années, en fonction des besoins du programme de reproduction, du souhait du coordinateur mais aussi du gouvernement australien.
Dans la nature, le diable de Tasmanie est majoritairement solitaire mais des petits rassemblements peuvent parfois être observés, notamment autour d’une source de nourriture. « Ils ne vivent pas en groupe, ils sont plutôt solitaires, mais en fait ils se rencontrent sur les points de nourrissages parce qu’ils sont capables de sentir une charogne ou une carcasse à plusieurs kilomètres. Donc ils vont tous se regrouper à ces endroits là, et il va y avoir des démonstrations un peu de force pour pouvoir avoir sa part du morceau. » Ces rassemblements entraînent alors des petits conflits occasionnant des cris et des postures de dominance voire des combats à coups de morsures. Ces affrontements ont également lieu pendant la saison des amours lors de laquelle les mâles deviennent très agressifs entre eux afin de conquérir le plus de femelles possible. « En parc zoologique il est demandé de présenter des petits groupes, peut-être même plus conséquents qu’ici. Tous les parcs qui accueillent des diables de Tasmanie pour la première fois commencent plutôt avec deux ou trois individus selon leurs installations. Et il est justement demandé de pouvoir faire des nourrissages spécifiques, avec des grosses proies, pour qu’ils puissent attraper la nourriture et créer ces moments de communications, de démonstrations. Ce sont leurs liens sociaux en fait. » Les équipes prévoient ainsi de dissimuler des proies mortes plusieurs fois par jour afin de stimuler leur instinct de chasseur et d’assouvir leur appétit vorace. Ils sont capables de manger environ l’équivalent du tiers de leur poids chaque jour en viande. Et dans la nature tout y passe : animaux vivants ou morts, volailles ou mammifères, peau, os, jusqu’à des carcasses de mouton ou même de vaches.
Une nouveauté préparée de longue date
Aude Bourgeois, directrice et vétérinaire du zoo, prépare l’arrivée des diables de Tasmanie dans la capitale depuis plusieurs années. Dès 2016, elle assistait à une formation au Zoo de Copenhague qui héberge cette espèce depuis plusieurs années. « Nous avons été formés pour nous occuper des diables de Tasmanie, explique-t-elle. Je suis personnellement allé au Zoo de Copenhague, qui a un gros groupe de diables de Tasmanie, pour me former justement à la gestion de cette espèce, et deux soigneurs du service qui s’en occupe sont également partis à Copenhague pour se former. Nous avons également des documents écris qui nous explique toutes les procédures à suivre et nous pouvons faire un partage de connaissances à tout moment avec le coordinateur du programme. » L’espérance de vie d’un diable de Tasmanie est d’environ 7 à 8 ans en captivité mais dès 4-5 ans, ces animaux peuvent développer naturellement des cancers et présentent des dégénérescences nerveuses provoquant des pertes d’équilibre. Ils nécessiteront des soins et de l’attention, c’est pourquoi les équipes de la Ménagerie se sont bien préparées.
Le parc avait également aménagé un tout nouvel espace, prêt depuis 2020, pour présenter les deux diables. Avant leur arrivée, celui-ci était occupé par un petit groupe de dik-dik de Kirk, des petites antilopes africaines, déplacées il y a quelques semaines vers un autre enclos de la Ménagerie, près des émeus. La zone a été conçue selon un cahier des charges rigoureux transmis par le centre de conservation de l’espèce afin de répondre à tous les besoins des animaux. Elle se compose d’un abri comprenant une loge pour chaque individu et de deux enclos séparables en fonction de l’entente entre les deux mâles. Le diable de Tasmanie est surtout actif la nuit mais il peut aussi se nourrir le jour et il est à l’aise en milieu boisé comme en milieu ouvert. Il n’hésite pas non plus à se baigner et se repose aussi bien dans un terrier que dans un gros buisson. Le nouvel espace est ainsi agrémenté d’herbes de différentes hauteurs, de branches, de troncs et de points d’eau mais aussi de nombreuses plantes et arbustes, originaires pour la plupart d’Australie, offrant de l’ombre et de nombreuses possibilités de se soustraire de la vue des visiteurs. Ces derniers peuvent aisément observer les nouveaux venus grâce à deux baies vitrées offrant un large point de vue sur l’ensemble de l’espace. « Les visiteurs peuvent venir les voir tous les jours, conclut Aude Bourgeois. Ils sont peut-être plus facilement visibles le matin tôt, ou en fin d’après-midi. Mais il y a des nourrissages qui se font dans la journée qui stimulent également les animaux et qui ne sont pas à heure fixe, pour que les animaux ne s’habituent pas à être nourris à heure fixe. Nous allons varier aussi les heures de nourrissages donc on peut venir à toute heure de la journée et tomber sur un diable de Tasmanie. »